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En vidéo : Blois pendant la Seconde Guerre mondiale

Il y a 80 ans, Blois faisait face à de violentes offensives, aériennes puis terrestres, menées par les forces allemandes. Quatre ans plus tard, après 4 années d’occupation, Blois est libérée. De cette période, il nous reste des photos saisissantes et les témoignages des Blésois et Blésoises de l’époque.

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Partie 1

Juin 1940 : Blois sous les bombes

Partie 2

La guerre à Blois (1940–1944) : de l’insurrection à la libération

Transcription de la première partie

La richesse du patrimoine architectural blésois a tendance à faire oublier les profonds stigmates infligés à la ville durant la Seconde Guerre mondiale. Il y a 80 ans, jour pour jour, la Cité et ses habitants faisaient face à une vague de bombardements menée par les forces allemandes. À l’issue de ces attaques, le 21 juin 1940, Blois compte 6 hectares de ruines et plus de 5000 personnes sinistrées. En mémoire de cet épisode tragique, nous vous proposons de revivre, jour après jour, les événements de cette semaine historique.

Nous sommes le vendredi 14 juin 1940, il est 23 h. L’air grave, des agents municipaux placardent une affiche manuscrite à l’entrée de la mairie. Ce libellé confirme les angoisses des derniers jours : l’ordre est donné d’évacuer immédiatement les plus de 13 ans et les hommes mobilisables. La nouvelle se propage dans la confusion et des rumeurs contradictoires circulent. Des familles blésoises se mêlent alors aux centaines de réfugiés qui affluent depuis plusieurs jours. Tous se précipitent vers l’entrée du pont Jacques-Gabriel, avec une seule idée en tête : progresser vers le sud pour fuir l’avancée allemande.

Certains habitants ont toutefois choisi de rester, ou du moins, de retarder leur départ. Le samedi 15 juin, à 2 h du matin, ils sont réveillés en sursaut par le vacarme des projectiles qui s’abattent sur la ville. Ces premiers bombardements aériens ciblent la ligne de chemin de fer. Si la gare est épargnée, des bâtiments voisins sont touchés, ainsi que le cimetière. On ne déplore, cependant, aucune perte humaine. Après cette nuit d’angoisse, l’évacuation s’accélère. Une suite ininterrompue de voitures, pour la plupart venues d’Orléans, forment des embouteillages inédits dans la ville. Il faut plusieurs heures pour franchir le pont.

Le 16 juin, à l’aube, les Blésois sont à nouveau tirés du lit par les sifflements et les éclatements de bombes. Neuf avions allemands mènent cette deuxième offensive aérienne. Les tirs de l’escadrille font d’importants dégâts : rue Robert-Houdin, la maison de M. Laurens, député et maire par délégation, tombe sous l’impact d’un projectile. L’élu décédera de ses blessures quelques heures plus tard.

Non loin de là, les vitraux de l’église Saint-Nicolas sont réduits en miette. Les points de chute touchent également la place Louis-XII, le faubourg de Vienne, la place Saint-Louis, et le Carmel : le chaos dévore la ville. À 11 h 30, Blois subit une nouvelle attaque d’envergure, menée par 17 avions. En rive gauche, un dépôt de mazout est touché et prend feu. Une épaisse colonne de fumée noircit le ciel.

La gare est à son tour sérieusement bombardée, alors que des trains de réfugiés sont à quai. Les soignants mobilisés au poste de secours de la Bourse du Travail, délocalisé ensuite à la gare des tramways électrique en Vienne, tente de sauver ceux qui peuvent l’être. Trois infirmières, mesdames Malet, Foucard et Dussoulier, accompagnées de leurs auxiliaires, sillonnent la ville à la recherche de blessés. Au Château, aussi, on s’organise. Le gardien des lieux, M. Guignard, aménage les caves du monument pour s’y réfugier avec sa famille et une dizaine de personnes venues lui demander asile.

Les heures passent et la question du ravitaillement commence à se poser. Les habitants les plus téméraires sortent de leur cachette, à la recherche de vivres. Par chance, de nombreux commerçants ont fui la ville, laissant derrière eux des boutiques bien achalandées. Rue Porte-Chartraine, un boucher est parti sans fermer sa porte et fait le bonheur des Blésois en mal de provision. Malgré la faim, rares sont le personnes qui osent s’aventurer dehors. Si les humains ont déserté les rues, quelques promeneurs inhabituels ont fait leur apparition. Ici et là, des poules, des lapins ou encore des perruches, arpentent la ville. Avenue du docteur-Jean-Laigret, qui s’appellait encore avenue Victor-Hugo, on croise même un éléphant paisiblement occupé à manger les feuilles des marronniers ! Le pachiderme s’est échappé de la cour de la gare où il était parqué. Il attendait la formation d’un train destiné à évacuer les animaux du cirque Amar, qui résidait aux Métairies en Vienne.

Pendant ce temps, les troupes allemandes se rapprochent dangereusement de la ville. La nuit du 16 au 17 juin est épargnée par les bombardements, mais le grondement lointain des canons qui attaquent Orléans redouble l’angoisse des Blésois.

Leurs craintes sont confirmées, le lendemain à 14 h, quand une vague d’attaques aériennes frappe à nouveau la Cité. L’Hôtel de Ville, atteint par deux bombes, est en flamme. Un peu partout, des incendies se sont déclarés et s’étendent à cause des vents violents qui soufflent en ce mois de juin. La ville est noyée dans des nuages de fumée et de poussière provoqués par le fracas des immeubles qui s’écroulent.

L’étau se resserre pour les unités françaises chargées d’assurer la défense de Blois : les éléments du 52e Régional et du GRDI-125 positionnés sur les hauteurs de la ville, se replient sur la rive gauche. Il faut verrouiller le passage du pont. Ils sont épaulés par les soldats du 8e tirailleurs tunisiens, du 4e Zouaves, du 91e Dragons portés et du 12e groupe de reconnaissance de corps d’armée, commandé par le colonel Crémière. De leur côté, les civils aménagent des barrages et des barricades de fortune pour ralentir l’avancée des troupes ennemies.

La confrontation fatidique survient le 18 juin, à 11 h 10. Les allemands, guidés par deux motocyclistes, se présentent au dos d’âne du pont, face aux militaires français. À cet instant, une déflagration assourdissante fait sauter la deuxième arche du monument, côté sud. Les français, qui avaient miné le pont, profitent de la confusion soudaine pour passer à l’action, armés de mitrailleuses et de canons. Positionnées à l’abri des parapets des quais, les troupes échangent des tirs nourris. La résistance de Blois commence ! Ce soir là, dans un studio de la BBC à Londres, le général de Gaulle enregistre son appel historique, diffusé sur les ondes françaises à 22 h. Ce message venu d’outre-manche engage les français et les françaises à résister, malgré la défaite qui s’annonce.

Blois vit en effet ses dernières heures de liberté. À 19 h, le plus gros des troupes allemandes pénètre dans la ville par la route de Vendôme et l’avenue de Châteaudun.

M. Guignard, le gardien du château assiste, impuissant, à l’installation des nazis dans l’aile Gaston d’Orléans et sur les terrasses.

Au matin du mercredi 19 juin, les tirs d’artillerie et de mitrailleuse ricochent de la rive droite à la rive gauche. Des projectiles français atteignent plusieurs sites clés, comme la Préfecture, le Tribunal et l’escalier Denis Papin.

Après plusieurs jours de résistance acharnée, les troupes françaises sont à cours de munition. Une partie des hommes est fait prisonniers par les nazis qui, motivés par des idéaux racistes, fusillent 6 soldats coloniaux. Ils seront inhumés par des habitants dans le cimetière de Vienne. Cet assassinat enfreint les lois martiales internationales et constitue le premier crime de guerre du Loir-et-Cher. Les archives municipales de Blois conservent un talisman porté en sautoir par l’un des soldats inconnus. Les inscriptions arabes suggèrent que cet objet était destiné à protéger son propriétaire.

Le 20 juin, seuls 150 hommes du 12e GRCA assurent encore la défense de la rive gauche. Ils sont contraints d’abandonner leur position pour se replier sur Montrichard. Deux jours auparavant, les nazis avaient en effet investi Romorantin en traversant la Loire depuis Beaugency, et menaçaient d’encercler les forces encore présentes à Blois.

La ville vient de tomber aux mains de l’ennemi. Ne pouvant franchir le fleuve par le pont Jacques-Gabriel éventré, les troupes allemandes passent d’une rive à l’autre à l’aide de bacs métalliques tirés par des bateaux à moteur.

Si les combats ont cessé, la paix n’est pas revenue à Blois, toujours en proie aux flammes. M. Guignard, accompagné de M. Lafarge un ingénieur-électricien et du jeune Martial Boucher, entreprennent une tournée pour suivre la progression des incendies. Des îlots, rue du Commerce, rue Denis-Papin et rue du Poids-du-Roi sont en feu, de même que la place Louis-XII. Les trois hommes parviennent à transporter une motopompe qu’ils alimentent à partir de la fontaine de la place. Malgré les efforts déployés, ils ne parviennent pas à maîtriser les flammes. Les incendies en cours autour du château inquiètent profondément son gardien. Pour limiter la propagation du feu, M. Guignard demande aux allemands l’autorisation de dynamiter certaines constructions de la rue des Violettes, dans le but d’étouffer l’incendie grâce aux éboulis. Deux hôtels datant de la Renaissance, ​les hôtels d'Amboise et d’Épernon, sont ainsi sacrifiés, au grand désarrois des Blésois présents.
Tandis que les habitants pleurent les dommages infligés à leur ville, les troupes savourent allègrement leur victoire : ils défilent fièrement dans les rues et placardent déjà des affiches de propagande.

Le 21 juin, on ordonne aux hommes valides de se présenter à la Kommandantur à 15 h. Les Blésois sont réquisitionnés pour le nettoyage des routes, tandis qu’on examine les moyens de rétablir les services d’eau et d’éclairage.

Le samedi 22 juin la débâcle française est définitivement actée​.​ À la forêt de Compiègne, l’État major français signe l’armistice qui établit les conditions de l’occupation de la France par l’Allemagne. Ce traité met ainsi fin, provisoirement, aux hostilités. À Blois, comme ailleurs, les français organisent la reconstruction du pays, sous le contrôle sévère de l’occupant. Nombreux nourrissent l’espoir de voir le pays un jour libéré. Mais c’est une autre histoire…

Transcription de la seconde partie

Depuis la signature de l’Armistice, le 22 juin 1940, les troupes allemandes stationnent au nord de la ligne de démarcation. Blois, qui se situe à seulement 40 km de la zone dite libre, est désormais une ville occupée. La Kommandantur a posé ses quartiers au 3 rue Porte-Côté, et administre le territoire blésois d’une main de fer. C’est sans compter le maire Henri Drussy : l’élu veille au relogement des nombreuses familles devenues sans-abri à la suite des bombardements. Témoin direct des injustices commises par l’Occupant, il bascule dans la résistance. Son engagement vaudra à l’ancien poilu d’être arrêté, puis interné à Orléans. Libéré en avril 1944, il a le bonheur de voir sa ville à nouveau libre, avant de décéder quelques mois plus tard. 

Les témoignages photographiques de l’Occupation sont rares. Les nazis interdisaient en effet aux habitants de les prendre en photo. Certains bravent néanmoins l’interdit, à l’instar de M. Bled. Dissimulé derrière la fenêtre de son bureau, rue Haute, il capture discrètement l’image de soldats en route pour le cinéma de la ville. 
Pour se représenter le quotidien des Blésois et des Blésoises à cette époque, il faut se rendre au Centre de la résistance, de la déportation et de la mémoire, situé place Victor-Hugo. Cet espace mémoriel expose des objets hérités de l’occupation et de la libération de Blois.
Cartes de rationnement, appareils relevant du système D, journaux clandestins ou panneaux de signalisation en langue allemande, témoignent de l’oppression subie durant ces années sombres. L’histoire de la déportation y trouve aussi sa place. Le centre conserve notamment de précieux accessoires, ramenés du camp de Bunchewald par le déporté politique Eugène Chesneau. Le CRDM retrace, par ailleurs, le destin des milliers de résistants du Loir-et-Cher, qui luttèrent avec bravoure, sacrifiant parfois leur vie, dans l’espoir de voir un jour la France libérée.

Après quatre année d’occupation, cet horizon semble enfin atteignable. La nouvelle du débarquement Allié sur les plages normandes, le 6 juin 1944, fait souffler un vent d’optimisme parmi les résistants blésois. Grâce à des graffitis, ces derniers enjoignent la population à se préparer aux futurs affrontements. L’heure de la libération approche. 

Le 8 juillet, le parachutage de Clénord, annoncé par le message « peu de menthe, assez de
citron », délivre 16 tonnes d’armes et de munitions. 80 maquisard sont présents sur le terrain pour réceptionner et cacher le matériel. Les lignes téléphoniques et électriques sont sabotées, les routes et voies ferrées minées. Des crèves-pneus sont répandus sur les routes. 

Face à la multiplication des embuscades, les services de la gestapo et la milice évacuent les deux villas qu’elles occupaient rue Augustin-Thierry. Si une partie des soldats quitte la ville pour ralentir la progression des Alliés à l’Ouest, les nazis conservent leurs positions blésoises et entendent bien les défendre. 
Le soir du 9 août, des gendarmes escortent des détenus jusqu’à la prison de la ville. Le groupe présente un laisser-passer allemand au poste de surveillance, et pénètre l’enceinte du bâtiment. La ruse a fonctionné. Tel le cheval de Troie d’Ulysse, le résistant Godineau et ses camarades révèlent leur vrai visage et neutralisent les agents pénitenciers récalcitrants. Au petit matin, ils achèvent de libérer les 183 prisonniers politiques en attente d’être transférés vers des camps de concentration ou d’exécution. 

Tandis que les maquisards mènent cette évasion avec succès, les américains progressent vers l’est. Le 166th Engineer Combat Battalion, qui compte 600 soldats et près de 80 véhicules, se présente à l’entrée de Blois le 15 août, avec pour mission de couper le pont Jacques-Gabriel qui est alors un point de franchissement stratégique. 

Les troupes US se heurtent rapidement aux défenses allemandes, qui les contraignent à rebrousser chemin par Herbault et Vendôme. Les soldats Henri Trajanovski, Carl Russo et le résistant Bernard Mazille périssent au cours de l’affrontement. À la suite de ce revers, les « boys » décident de concentrer leurs efforts sur la prise d’Orléans. 

Les résistants blésois ne pourront donc compter que sur eux-mêmes pour libérer la ville. Eclatés en différents groupes aux sensibilités politiques souvent très éloignées, les maquisards savent que l’union fait la force. Après de longues semaines de rivalités intestines, le colonel Valin de la Vaissière parvient à s’imposer. Le militaire prend la tête de tous les éléments des Forces françaises de l’intérieur (FFI) et des Francs-tireurs et partisans qui se sont rassemblés à Blois. Les différents groupes d’insurrection se déploient en rive droite, et passent à l’assaut des Allemands, qui se replient dans le quartier de Vienne. Les troupes des Hitler-Jugend (jeunesses hitlériennes) sont alors l’ultime rempart à la libération de la ville. 

Tandis que que le groupe Mary atteint les abords du pont Jacques-Gabriel, les jeunes nazis font sauter les trois arches centrales. Une vive fusillade s’ensuit. L’ennemi arrose copieusement les murets et les pilastres de l’évêché, et la statue de Jeanne d’Arc est touchée. Perchés au sommet du clocher de Saint-Saturnin, des tireurs interdisent toute circulation dans la ville basse, entre la Loire et les remparts du château. Les FFI positionnés à l’abri des parapets du monument répondent aux semonces, tandis que des habitants érigent des palissades pour se protéger des balles. 

Afin de galvaniser la population, un haut-parleur est installé sur la façade du 27 rue Porte-Chartraine et diffuse les nouvelles de la France libre, émises depuis la BBC. Le 25 août, la marseillaise retentit depuis les fenêtres et les balcons à l’annonce de la libération de Paris. 

À Blois, la résistance ne faiblit pas. L’assaut final est donné la nuit du 31 août : les Allemands mobilisent toutes leurs pièces d’artillerie dans cette ultime offensive, avant d’évacuer le faubourg de Vienne. 

Au matin du 1er septembre 1944, des drapeaux français sont agités rue de la Belle-Jardinière : Blois est enfin libérée !
Les jours qui suivent, les groupes de résistants défilent dans les rues, sous les acclamations de la foule. 

Si la joie domine, des épisodes de vindicte populaire surviennent également. Rue Denis-Papin, la librairie allemande est mise à sac, et les livres entassés en pleine rue pour alimenter un autodafé. On prend également pour cible certaines femmes accusées de « collaboration horizontale » : comme près de 20 000 françaises, des Blésoises sont tondues publiquement avant d’être exhibées aux regards des passants. 

L’inquiétude pour les déportés assombrie cependant la joie de certaines familles. En Europe et dans le monde, la guerre n’est en effet pas terminée. Il faut attendre l’annonce de la capitulation allemande, le 8 mai 1945, pour que les Alliés célèbrent enfin leur victoire. 

Cinq années plus tard, le 3 septembre 1950, la Ville de Blois reçoit la Croix de guerre des mains du général Koenig. Cette distinction salue l’esprit de résistance, l’audace et le courage de ses habitants, et rappelle le lourd tribut payé durant la guerre : à la fin du conflit, on dénombre 230 personnes tuées ou blessées, 103 déportés, 1522 immeubles détruits ou gravement endommagés et quelques 3661 familles sinistrées.

Si la reconstruction des quartiers bombardés du centre-ville et du faubourg de Vienne a permis aux Blésois et aux Blésoises de se tourner avec optimisme vers l’avenir, le nouveau projet d’urbanisme n’avait pas vocation à ensevelir le souvenir des quatre années de guerre. À travers ses cicatrices, le nom de ses rues, ses plaques, stèles et monuments, Blois est un livre à ciel ouvert, « une mémoire de pierre ». 

Toute l’année, les agents de la Ville s’emploient à commémorer cette histoire, à valoriser ces témoignages, à sensibiliser le jeune public, afin d’entretenir le précieux flambeau de la mémoire et de le transmettre aux futures générations.