environnement

Rencontre entre Claire Nouvian, fondatrice de l’association Bloom, et de jeunes Blésoises

Les Rendez-vous de l’histoire 2022 ont connu une belle affluence avec près de 50 000 festivalières et festivaliers. À cette occasion, les jeunes de l’espace jeunes Quinière – Rosa-Parks ont pu interviewer Claire Nouvian, fondatrice de l’association Bloom, qui œuvre à la préservation des océans et de ceux qui en vivent.

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Rencontre entre Claire Nouvian et de jeunes Blésoises

Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
bonjour, nous sommes les jeunes de l’espace jeunes Quinière à Blois. Aujourd’hui nous allons interviewer c-Claire Nouvian dans le cadre des Rendez-vous de l’Histoire. Nous allons parler de biodiversité, des fonds marins, des mers… Nous allons faire cette première partie de l’interview dans une calèche. Ce n’est pas par hasard que nous avons choisi la calèche. Dans le monde, tout le monde se plaint que la planète est trop polluée. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Claire Nouvian
On a le droit de se plaindre parce que la planète est vraiment polluée en effet. Alors la pollution c’est autre chose que les émissions de carbone, donc il y a le fait que on est en train de détruire le climat par les émissions de CO2, et puis aussi la pollution directe que ça génère, que toutes nos activités génèrent sur l’environnement naturel. Et là c’est aussi le problème des produits chimiques, qu’on met en suspension dans l’air, dans l’eau, dans les sols. Il y a des études qui ont montré que la plupart des cours d’eau… en France par exemple, la plupart de nos rivières sont polluées, les océans sont très pollués. Vous avez tous entendu parler évidemment du problème du plastique. Donc c’est un problème majeur, parce qu’en fait on continue à produire du plastique. Il y n’a pas un moment on se dit on arrête, on recycle, on change de matériau… non, on continue. Donc les problèmes qu’on a dans le monde malheureusement, pour l’instant, alors qu’on connaît les solutions, on ne les met pas en œuvre.
Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
Vous avez aussi gagné plein de prix dont le trophée des Femmes en Or en 2012. Vous êtes chevalière de l’ordre national du Mérite en 2013.
Claire Nouvian
Je l’ai refusé.
Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
Ah bon ?
Claire Nouvian
Oui, je n’ai pas voulu prendre ce prix, l’accepter, parce que il y a trop de gens qui ont accepté ce prix qui sont profondément immoraux pour moi et je voulais pas rentrer dans la même case. Je trouve que ces médailles, ces jolis trucs dorés là, c’est fait pour souvent, je trouve… c’est un système où les gens adorent se faire valoir, devenir important, rentrer comme ça… je trouve qu’on perd de la liberté. On accepte ça… moi je préfère avoir de la liberté totale sur tous mes gestes et je veux pas être associée à des médailles qui ont été donnés à des à des corrupteurs de la République, à des pollueurs à des assassins… il y en a eu, hein.
Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
Vous avez gagné aussi le prix Goldman pour l’environnement équivalent au prix Nobel…
Claire Nouvian
…de l’écologie. C’est ce qu’on dit du prix oui, parce que le prix Goldman c’est un prix américain, qui est d’abord qui est très doté : il y a beaucoup d’argent qui est lié à ça. Donc ça m’a bien sauvé à une époque où je faisais tout ça gratuitement. Et aussi parce que c’est très difficile de l’avoir. Ils font une enquête pendant un an, sur la personne à laquelle ils vont donner le prix pour vraiment s’assurer que c’est quelqu’un qui a travaillé quasiment sans moyens financiers, avec beaucoup de d’écueils beaucoup d’obstacles à surmonter.
Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
Après lecture de votre parcours, en France, à Paris, en Algérie, bac à Hong Kong, études en Allemagne et en Argentine, vous avez créé en 2005 votre ONG Bloom, pour la protection de la biodiversité, le climat et les habitats marins. Est-ce que vos différents voyages sont à l’origine de la création de votre association Bloom ?
Claire Nouvian
D’une certaine façon, je pense que oui. Ce que j’ai fais, c’est qu’en fait pendant 10 ans, j’ai travaillé dans la production audiovisuelle. Donc moi je faisais des films, j’étais de l’autre côté de la caméra, comme les jeunes hommes là. Et j’ai filmé avec des chercheurs, qui étaient spécialistes des animaux, j’ai filmé vraiment de très beaux espaces sauvages dans le monde, dans la savane par exemple. À chaque fois, les chercheurs me disaient « bah là, tu vois, l’oiseau que tu es en train de filmer, il en reste 500 », « là ce que tu es en train de filmer il en reste quatre paires ». C’était à chaque fois un sentiment que le monde naturel est en train de s’effondrer. Les chercheurs faisaient ce qu’il pouvaient, il étudiaient les animaux, mais en fait ils les protégeaient aussi. Et partout où je passais, tout disparaissait en fait. J’ai eu un moment comme ça où c’est monté, monté… Les animaux disparaissent parce qu’on les tue, directement, mais aussi parce qu’on réduit leurs habitats. C’est-à-dire que on fait disparaître la forêt, on fait disparaître les marécages, les mangroves, la savane… Et donc j’avais l’impression que ce que je montrais à voir était une forme de mensonge. On filmait quelque chose de très beau, mais on avait pas le droit de dire à l’antenne « et si on tourne la caméra un peu plus par là, on se rend compte qu’il y a une centrale, qu’il y a des habitations, qu’il y a des gens qui… ». On voulait toujours raconter, on était toujours obligé de raconter la belle histoire, et je me suis dit « mais je ne veux pas participer ce mensonge, en fait ». Le monde naturel en train de disparaître et moi je contribue à faire croire aux gens qui vont allumer leur télé le soir en regardant les beaux animaux qui font leur vie… mais non les animaux ils font leur vie, ils arrivent à survivre dans un environnement ultra hostile. Il faut que je raconte ça aussi. Et quand je suis arrivée sur les grandes profondeurs océaniques, les abysses, les animaux assez bizarre avec des grandes dents, des gros yeux, pas toujours très mignons… là je me suis rendu compte qu’il y avait vraiment très peu de défenseurs en fait. Il n’y avait personne. Et du coup je suis partie bille en tête en me disant « il faut arrêter le massacre dans les océans profonds, c’est la première des urgences ». Donc en fait je n’y avais jamais pensé, mais oui, mes voyages sont carrément liés à mon engagement pour défendre la planète.
Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
Qu’est-ce que vous pensez de Blois, de ce qu’on vient de découvrir, de ce qu’on a vu pour l’instant ?
Claire Nouvian
Eh bien moi j’adore Blois. J’ai vraiment un attachement particulier à l’histoire de France et au patrimoine historique de de cette région. J’imagine très bien que Léonard de Vinci devait être tellement heureux. Je trouve cette région est magnifique et qu’elle regorge l’histoire. C’est quand même vraiment bien qu’ils aient fait les Rendez-vous de l’histoire ici. Avec toutes les trahisons, tout ce qui s’est passé justement, évidemment dans le Château de Blois, avec toutes les histoires entre la reine qui est à moitié captive… il y a tout eu ! Les guerres de religion… enfin bon. C’est chargé ici. C’est beau, magnifique, j’adore.
Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
Nous profitons de la présence de Jean-Pierre de l’association Observatoire Loire de Blois pour continuer notre interview. Vous avez des combats similaires avec Claire Nouvian. Éducation à l’environnement, réchauffement climatique… pour ne citer que cela. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Claire Nouvian
Vous avez évoqué l’Observatoire Loire qui est une association dont je suis le président, qui vient de fêter ses 30 ans d’existence. Depuis 30 ans, elle milite pour ce que tu as évoqué. C’est-à-dire l’environnement, la protection de l’environnement, la sensibilisation du plus grand nombre de personnes et des jeunes bien entendu mais pas que, à la protection de ce fleuve, de toutes les nuisances qu’il subit depuis un certain nombre de décennies. Nous proposons de faire un retour sur l’histoire de la Loire et notamment l’histoire de la navigation. La Loire a été pendant des siècles quasiment une autoroute commerciale, au service au service de la France et notamment évidemment de Paris, puisque Blois a été ville royale. Cette batellerie fait l’objet d’études approfondies que nous proposons aux élèves. Nous développons aussi ce qu’on appelle les continuités écologiques. Le fleuve, vous voyez, c’est une eau qui court, c’est une eau qui coule. Et les fleuves sont porteurs évidemment. Il n’y a pas que de l’eau dans le fleuve. Il y a aussi des espèces végétales et tout autour de nous, on voit bien ce qui est ce qui se passe aussi. Je voudrais y revenir. Et puis il y a aussi les mammifères, il y a aussi les oiseaux. La continuité écologique pour la bonne santé d’un fleuve, c’est important.
Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
C’est une très bonne transition pour notre question suivante. Pouvez-vous nous présenter votre association Bloom et son rayonnement ?
Claire Nouvian
Alors nous on s’occupe de l’océan. On ne s’occupe pas d’eau douce, on ne s’occupe que d’eau salée. On soutient les campagnes qui s’opposent à l’extraction : les extractions d’hydrocarbures, le gaz, le pétrole, les sables… mais on ne participe pas directement. Parfois on fait des actions, mais pas directement, parce que la première cause de dégradation de l’océan, en fait, c’est la pêche industrielle. Par exemple les gens qui ont parlé du plastique, on a l’impression que c’est à cause du plastique que l’océan est en train de mourir. Ça c’est un facteur aggravant, mais la première cause de disparition de tout ce qui est vivant dans l’océan, c’est tout simplement la pêche. C’est parce qu’on prend trop de poissons, avec trop de bateaux, trop efficace, trop gros, trop destructeurs. Et aujourd’hui, on encourage malheureusement les méthodes de pêche les plus destructrices. Donc nous on se bat vraiment sur cette première cause de disparition des animaux dans l’océan et de la destruction de ce qu’on appelle les habitats. Un habitat, c’est un écosystème en fait, c’est la dimension physique. C’est à dire que le fond marin, il va y avoir des éponges, des coraux parfois, des algues, des herbiers… il peut y avoir toutes sortes de d’écosystèmes différents. Et quand on fait passer des engins de pêche qui sont destructeurs, on rase tout ça, et donc on ne permet pas à toutes les espèces variées et nombreuses d’interagir, d’être en relation les unes avec les autres. Donc on a plusieurs sujets, nous, chez Bloom. On se bat contre le fait qu’il y a trop de pêche, mais aussi que les méthodes de pêche sont trop destructrices, parce qu’il y a trop de bateaux, trop efficaces, et en plus ils utilisent des moyens pour pêcher qui sont complètement absurdes. Donc c’est ça notre notre combat. Et à partir de là, et bien on s’est rendu compte qu’il y avait des tas de choses qui n’allaient pas. Parce qu’en fait il suffit de regarder assez longtemps quelque chose pour commencer à se rendre compte qu’il y a des gens malhonnêtes, qui ont un intérêt financier à détruire la planète, et qu’on partage pas du tout la même vision du monde. Donc pas du tout la même vision de la politique, de ce à quoi doivent servir justement des députés, des parlementaires, des ministres, etc. Donc on se bat contre ces lobbies, parce qu’aujourd’hui les petits pêcheurs artisans… il y a des pêcheurs qui pêchent très bien, qui pêchent avec des méthodes très sélectives. Ils ne rejettent quasiment pas de poisson. C’est pas comme les chalutiers par exemple, qui passent avec des grands filets qui raclent les fonds. Ils attrapent tout, et une fois que c’est sur le pont, eh ben ils rejettent tout ce dont ils n’ont pas besoin. C’est un énorme gâchis d’espèces. C’est une énorme destruction. Alors qu’à côté de ça il peut y avoir un pêcheur qui lui va pêcher avec une ligne et un hameçon. Donc le poisson qui le remonte, bah il le commercialise mais il n’en attrape pas 10 à côté. Et donc aujourd’hui, les petits pêcheurs qui pêchent bien, c’est vraiment eux qui représentent la meilleure option pour l’avenir. Les petits pêcheurs ne sont pas organisés politiquement. Donc eux ils ne s’organisent pas pour aller à l’Assemblée nationale, au Parlement européen, dans toutes les instances de décision auprès des ministres… Ils n’ont pas une ligne directe avec le ministre de la pêche ou le ministre de la mer. Alors que les gros industriels, ils ont vachement d’argent, ils ont des bateaux énormes, ils sont très organisés politiquement. Et eux, ils arrivent toujours à se faire entendre. Donc on a aussi un gros problème avec ça. Mais on gagne le combat grâce aux gens qui nous soutiennent. On gagne tous nos combats grâce aux citoyens qui se mobilisent et notamment les jeunes. Notamment les jeunes, j’insiste ! parce qu’il y a de plus en plus de jeunes qui regardent les réseaux sociaux et qui se disent « mais c’est pas possible ce qui se passe, c’est pas normal ce qui se passe. Mais qu’est-ce que c’est que ce délire ? Pourquoi on accepte ça ? » Donc c’est les jeunes qui partagent pas mal sur les réseaux sociaux et tout qui commencent à vraiment à faire grandir nos combats, à les faire connaître.
Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
En parlant des jeunes, quel message vous pourriez leur adresser pour qu’ils continuent à s’engager pour sauver la planète ?
Claire Nouvian
Je pense que votre ce qui vous attend est pas facile, pour être honnête. Je pense que le changement climatique a été généré par un tas de vieux dinosaures du 19e et du 20e siècle qui vont disparaître, et qui ne vont pas en payer les conséquences, alors que vous, ça va vous taper quand même de plein fouet. Et puis on l’a vu cet été : les canicules… et puis en fait ce n’est pas seulement les canicules en été, ce n’est pas seulement les incendies, c’est aussi des événements climatiques extrêmes : des ouragans, des tempêtes… chaque chose chaque événement climatique va être plus intense, plus violent, plus destructeur et plus fréquent. Et ça va perturber toute la vie sur Terre. Ça va perturber aussi la vie des humains. Aujourd’hui, on pense que la plupart des conflits qu’on voit apparaître en Afrique sont quand même liés à des questions de capacité de vivre sur le territoire qu’on occupait. Et quand les conditions ne sont plus propices à faire paître un troupeau, à faire pousser des légumes, eh bien qu’est-ce qu’on fait ? On pousse évidemment les populations du Sud — parce que le désert progresse, il y a une désertification des terres en Afrique — on déstabilise toutes les communautés humaines et elles vont se déplacer et elles vont rencontrer d’autres communautés humaines qui disent « ah non nous on peut pas on peut pas vous prendre là, nous on peut pas mettre plus de troupeau, on peut pas mettre plus d’humains ». Et donc ça crée des tensions qui sont énormes. Il va falloir… La seule façon de s’en sortir, ça va être la coopération. Ça va être d’avoir beaucoup plus d’empathie, beaucoup plus de douceur les uns avec les autres et d’être prêt à partager.
Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
Vous intervenez cet après-midi à une table ronde « le droit peut-il sauver la mer ? » au palais de justice de Blois. En quelques mots, pouvez-vous nous parler de votre regard sur le sujet ?
Claire Nouvian
D’un point de vue de la défense de l’environnement, le droit c’est vraiment le recours qu’on a le plus souvent. Donc on attaque les décisions qui nous semblent injustes, dangereuses, non justifiées. On les attaque devant des tribunaux. Donc nous, typiquement, on va se saisir du droit qui existe pour dire à des juges, des magistrats, devant des tribunaux divers et variés, le parquet européen, pour leur dire « mais on vous en supplie, soyez les limites à un système qui est destructeur ». Parce qu’aujourd’hui, toute notre économie repose sur la destruction de la biodiversité. On n’a pas encore appris à exister en harmonie avec la nature. Alors que c’est ça notre enjeu. Les humains, on ne leur demande pas de se saborder. Mais on n’a pas le droit de détruire les autres espèces. Non seulement c’est pas mon pour nous, mais c’est pas bon pour les espèces. On n’a pas le droit de faire ça. On n’a pas le droit de détruire l’environnement, alors que toutes nos activités économiques aujourd’hui, l’ensemble de notre logique économique, elle repose sur la destruction de la nature. Donc toutes nos activités, il faut les réinventer pour que ce soit pour que ce soit durable. Et le droit, moi je mets beaucoup d’espoir avec Bloom, on met beaucoup d’espoir dans le droit, parce qu’on se dit que les jugements comme ça peuvent construire notre rapport au monde. Et le droit, les lois, elles sont le reflet de quoi ? de nos préférences en tant qu’individus dans une société.
Jeunes de l’Espace Quinière – Rosa-Parks
Nous vous remercions encore Claire pour votre participation à notre interview ainsi que tous les partenaires, jeunes, associés à ce projet. On vous invite pour conclure cet entretien à déguster des produits de Blois locaux.
Claire Nouvian
Merci !